Laure, Flaubert et moi… Maupassant

Extrait : Quand la petite tête gluante poussa un cri rauque et glissa comme une savonnette le long de ses cuisses, laissant apparaître de larges épaules et un torse déjà puissant, elle redressa son buste pour mieux profiter du spectacle, balaya d'un coup sec la mèche humide qui lui brouillait les yeux et offrit enfin à son visage un grand sourire vainqueur. Aucun cri, aucune larme n'étaient sortis de ce corps dont la main vigoureuse attrapait le petit être qui montrait soudain sa force en repoussant du poing le gros drap blanc.- Catherine, regarde, il m'aime déjà.Sa voix claire et autoritaire résonna dans la moiteur de la pièce et fit de nouveau entendre le pas des promeneurs et des fiacres de la rue de Bizy, mais ses yeux d'une fixité étrange restaient dans son monde à elle.D'un geste rapide évitant toujours le regard de sa maîtresse, Catherine avec son haut bonnet de nourrice acquiesça. Depuis cinq ans qu'elle était à son service, cette femme lui faisait toujours aussi peur. Derrière des prunelles brunes, les yeux étaient de marbre. Elle avait la beauté froide de ces grandes tragédiennes qui rajoutent à l'amour un doux parfum de mort et des gestes amples, interminables laissant une ombre dans la pièce même quand elle n'était plus là. Elle déplaçait toujours avec elle l'odeur de ses châles et de ses cachemires plies dans des boîtes de santal. Délicatement, elle approcha la petite tête de la lampe en porcelaine posée sur le guéridon. La flamme tremblant dans le globe de cristal dessinait de doux reflets sur les joues rebondies qu'elle admirait.- Il a le front et les sourcils épais de mon amant, la bouche et le menton de mon frère, dit-elle en chuchotant.Dans ce portrait, les deux êtres les plus chers à sa vie étaient réunis. En soulevant l'enfant comme un trophée, elle jubilait. Son visage prit un air de sorcière maléfique, marmonnant à la minuscule oreille des paroles d'un amour et d'une fierté excessifs. Elle tenait enfin dans ses mains des cartes pouvant changer son destin et lui faire oublier toute la honte d'un mariage raté. Une larme de délivrance, juste une seule, déchira son visage anguleux de statue, mais elle la chassa très vite pour mieux admirer son chef-d'oeuvre.Depuis trois mois, elle était installée à Vernon et avait fui le château de Miromesnil pour oublier la médiocrité de cette union arrangée, les disputes et l'odeur de ses maîtresses, mais pas une seconde elle n'avait pensé qu'elle était fautive. Le corps en exil, c'était son âme qu'elle voulait sauver. Elle avait déjà trop payé cette particule, qu'en échange, elle avait exigée. Pour le mariage, la corbeille était belle, remplie de dentelles, de perles et de tissus brochés, mais on avait oublié d'ouvrir le dernier tiroir des chapeaux, capelines et jarretières colorées. Devant l'armoire à glace de la chambre, une nouvelle femme était née. Son visage habituellement blanc était piqué de taches rosées que la douleur avait laissées et ses lèvres rouges d'un sang neuf. Nerveusement, elle dénoua alors ses nattes de petite bourgeoise bien élevée et secoua violemment ses longues mèches brunes, avec un rire victorieux, comme une jeune fille prête à aller danser.Biographie de l'auteurCécile Delîle est née en 1968 et vit aux portes de la Normandie. Elle a publié un premier roman sur ses années d'enseignante dans les quartiers sensibles. Laure, Flaubert et moi… Maupassant est son deuxième roman.