Une reine de trop

Soudain, elle fut prise d'un accès d'inquiétude. Possédait-on des statistiques sur ce panel d'imbéciles heureux ? Des études fiables ? Qui permettraient de séparer l'ignorance pure de la malhonnêteté intellectuelle ?- Ne seriez-vous pas un révisionniste, dans votre genre ? interrogea Françoise.- De quoi parlez-vous, ma bonne dame ?Elle brisa net la conversation. Que lui importait que son chauffeur crût ou non à la duplicité des Américains ? Cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Durant sa vie, elle avait connu nombre d'hurluberlus qui prétendaient que Shakespeare n'avait jamais existé ou que le journal d'Anne Frank était un faux grossier. Il y faudrait donc ajouter la supercherie de l'homme sur la Lune. Cette affaire occupa un brin son esprit tandis qu'elle fixait le sommet du mont Ventoux, dans la pureté du ciel. C'était comme le sommet du Kilimandjaro, désolé de pierrailles blanches, à la différence qu'ici il n'était aucune neige éternelle pour accueillir les âmes errantes. Le plateau alentour était plus accueillant, avec ses champs de lavande découpés au cordeau, ses bois de chênes verts à perte de vue, moutonnés comme une fourrure d'astrakan.Françoise fit arrêter le pick-up pour saisir quelques clichés. Elle s'accroupit près d'un rang de lavande, avec l'idée de prendre en arrière-plan le Ventoux. Elle vérifia le résultat sur son écran numérique, trouva les couleurs si intenses qu'elle remisa, déçue, son appareil dans la poche.Je suis comme ces touristes qui font des cartes postales, alors que l'enseigne des boutiquiers en regorge, se reprocha-t-elle.Néanmoins, elle prit le temps de humer l'air. C'est par ces signes intangibles qu'on juge d'ordinaire du dépaysement. Le vent semait les riches exhalaisons de la garrigue environnante. Parfum indéfinissable à la première approche, surtout pour elle qui émergeait à peine de sa ville saturée d'oxyde de carbone.Tout lieu se visite pas à pas, en approches successives, se dit-elle. Le plus difficile n'est-il pas de nommer les choses, avant de les peindre, et d'aller du minuscule à l'infini ? --Ce texte fait référence à une édition épuisée ou non disponible de ce titre.Biographie de l'auteurNé le 30 décembre 1949 à Brive, en Corrèze, Jean-Paul Malaval devient journaliste professionnel à partir de 1970 à Centre Presse, puis en 1973 à L'Echo du Centre. Il rédige aussi des articles pour Agrisept et Le Nouvel Observateur. En 1982, il commence une collaboration de plusieurs années avec les éditions Milan, à Toulouse. Ainsi voit le jour une série d'ouvrages sur des photos anciennes régionales (Auvergne-Limousin au temps des lâchers de ballons, 1984, et Périgord, Quercy, Agenais au temps des marchandes de paradis, 1987). Aux éditions Milan, Jean-Paul Malaval publie également un essai ethno-sociologique (La Sorcellerie en Limousin ou La Peur au village, 1982) et un essai biographique sur deux peintres-émailleurs du Limousin (La Part du feu, 1983). En 1987, il écrit son premier roman avec Deux Journées à Bassora, édité chez Milan. Depuis, Jean-Paul Malaval a publié dix-sept romans aux Presses de la Cité. Sans nostalgie ni passéisme, il dépeint les bouleversements du monde des campagnes. Sa plume, aussi forte et incisive dans la tragédie que dans l'humour, a su lui fidéliser de nombreux lecteurs, passionnés autant par les réalités historiques qui sont la toile de fond de ses romans que par ses fictions attachantes.Jean-Paul Malaval a été également maire de Vars-sur-Roseix, une petite commune de Corrèze, depuis 1995.